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Lutter contre le cancer

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KO1D’aucuns pensent que la « vocation » de Toulouse en matière de cancérologie est tardive et liée à la volonté des élus de « casser l’image de ruine industrielle du site AZF en faisant disparaitre du paysage les traces de l’explosion », comme le souligne le géographe Guy Jalabert dans Mémoires de Toulouse. Or, aussi importante soit-elle, cette reconversion ne doit pas faire oublier que Toulouse tient, depuis le XVIIIe siècle, une place singulière dans la lutte contre le cancer.

Cancer
© Patrick Mignard

Traditionnellement cantonnée à la médecine, la question du cancer est devenue un objet de recherche pour les sciences humaines et sociales. L’ouvrage collectif Lutter contre le cancer (1740-1960) en est une bonne illustration. Son objectif est avant tout de dresser un état des lieux de la recherche sur l’histoire du cancer. Loin de circonscrire la réflexion aux domaines médicaux et biologiques, il inclut les dimensions politiques, sociales et culturelles. Cette collaboration a ainsi permis d’étudier le cancer sous des aspects très divers : représentations de la maladie depuis le milieu du XVIIIe siècle jusqu’aux années 1950, prise en charge des patients, politiques de lutte contre le cancer depuis sa découverte…

Capture d’écran 2013-04-15 à 14.19.18Foucault D., dir., 2012, Lutter contre le cancer (1740-1960), Toulouse : Privat.

Pour donner à leur travail plus de clarté, les auteurs ont privilégié une approche chronologique découpée en quatre parties. Il s’agissait de partir des décennies décisives du Siècle des Lumières, moment où, selon Didier Foucault, « les médecins commencent à accorder une attention soutenue au cancer », et de clore la réflexion sur « la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, où se mettent en place les cadres de la cancérologie actuelle ».

logo_canal_u_sans_texte (2)Les articles de l’ouvrage proviennent du colloque international “Histoire du cancer, 1750-1950″ tenu à Toulouse en 2011 et dont les conférences sont disponibles sur Canal-U. Le lien sur le nom de chaque auteur renvoie sur la vidéo de son intervention.

 

Ouverture du colloque Histoire du cancer, 1750-1950

Naissance de la cancérologie (1740-1880)

Aff Collque International Histoire du Cancer à Toulouse janv2011-1Au cours de cette période s’opère une phase de transition entre la médecine ancienne, qu’abandonnent avec peine les praticiens, et le triomphe de la médecine moderne, dont Louis Pasteur est la figure emblématique. C’est durant le XVIIIe que l’intérêt pour la question du cancer se précise chez les hommes de science. L’étude des mémoires primés par l’Académie royale de chirurgie (Jean-Yves Bousigues) confirme cette tendance. Didier Foucault montre qu’à partir des années 1740, l’attention grandissante envers le cancer se vérifie par une forte augmentation des publications spécifiques.

Jacques Rouëssé revient sur les pistes théoriques et thérapeutiques à propos du cancer du sein, tandis que Nahema Hanafi élargit la réflexion aux domaines des sensibilités et des perceptions entre soigneurs et soignés. A partir des consultations épistolaires envoyées au médecin lausannois Samuel-Auguste Tissot, elle montre que le cancer est vécu comme une épreuve physique et morale. Pour sa part, Elsa Nicol relève que le statut social de la femme et la localisation délicate de certaines tumeurs sont des facteurs qui influent grandement sur le vécu des patientes et peuvent engendrer un réflexe de pudeur et un sentiment confus de culpabilité.

Espoirs dans la science (1880-1914)

MICROBEW3Cette période est marquée par l’impact des découvertes de Pasteur sur l’univers microbien. En consacrant ses recherches sur Toulouse, ancrée dans une tradition hospitalière et académique, Bérengère Lacassagne dresse un tableau du dynamisme de l’activité universitaire et des débats scientifiques qui agitent les milieux de la recherche. Cependant, à l’échelle du continent européen, de fortes disparités demeurent au niveau des sciences médicales. Prenant l’exemple du cancer de l’utérus, Isabelle Renaudet montre comment au contact des Français, des Allemands et des Anglais, des gynécologues espagnols s’initient aux nouvelles techniques, telle que l’hystérectomie. Cependant, Anne Carol rappelle que le succès du pasteurisme auprès des jeunes générations de praticiens soulève des attentes conduisant parfois à des dérives dangereuses comme celle du chirurgien rémois Eugène Doyen, accusé d’avoir greffé des fragments de tumeurs cancéreuses sur deux femmes atteintes de cette maladie. Mais à l’aube du XXe siècle, force est de constater que les progrès des thérapies demeurent limités. Le cas d’Arthur Rimbaud, étudié par Gilbert Guiraud, en est un bon exemple.

Irruption de l’État (1919-1939)

Dessin de Jacques Nam réalisé en 1919
Dessin de Jacques Nam réalisé en 1919.

Le conflit de 1914-1918 est une parenthèse dans la lutte contre le cancer : « le cancer cède sa place à d’autres priorités » (Alain Denax). Pour autant, une fois la paix revenue, il redevient une préoccupation des Pouvoirs publics. A l’image de l’amitié nouée entre Claudius Régaud et Justin Godart, sous-secrétaire d’État à la Santé, les réseaux relationnels rendent possible la création du premier Programme national de lutte contre le cancer. Ce dernier est progressivement mis en œuvre dans les métropoles, par exemple autour du Professeur bordelais Jean Bergonié, dont Pierre Hoerni retrace la carrière. Dans le prolongement, Olivier Munoz s’intéresse au Centre régional anticancéreux de Toulouse, dont il retrace l’histoire entre 1923 et 1947 à travers les figures de ses deux directeurs successifs, le radiologue Théodore-Marie et le chirurgien Joseph Ducuing.

Si l’intervention de l’État en faveur des établissements pour cancéreux est très significative en France, cette évolution se vérifie également dans l’ensemble des pays industrialisés. C’est ce que démontrent John Pickstone au sujet de l’Angleterre, Charles Hayter pour le Canada, et David Cantor à propos des Etats-Unis. Comme le souligne Nathalie Huchette, les États parviennent progressivement à légitimer leur intervention en matière de santé publique grâce aux campagnes de « propagande anticancéreuse » auprès du public, en se posant comme un recours financier indispensable pour soutenir la recherche scientifique.

Tract (et affiche) en noir et blanc de la Ligue française contre le cancer, tiré en rouge et noir pour une affiche en 1926.
Tract (et affiche) en noir et blanc de la Ligue française contre le cancer, tiré en rouge et noir pour une affiche en 1926.

Incertitudes et impulsions nouvelles (1945-1960)

Après la Seconde Guerre mondiale, on assiste au sein des sociétés occidentales à l’instauration d’un « État Providence » qui soutient de tout son poids la recherche, finance la construction d’équipements et élargit l’accès des populations à des traitements de plus en plus sophistiqués et coûteux. Cette évolution contraste fortement avec les conditions épouvantables affichées en URSS. C’est ce qu’explique Pierre Lile en prenant appui sur le récit romanesque d’Alexandre Soljenitsyne dans Le pavillon des cancéreux.Capture d’écran 2014-12-02 à 11.25.27

Pendant cette période, la France s’engage dans la reconstruction de son système de santé qui aboutit à la recomposition du paysage de la cancérologie. Dans ses travaux sur l’électricien Antoine Priore, Xavier Bonnet montre comment, au court de cette période transitoire, subsistent des réseaux de médecine parallèle, constitués pendant la Résistance et exerçant en marge de la vie scientifique. Les retards de la France ne sont pas seulement liés au rattrapage technologique ou thérapeutique ; ils sont aussi d’ordre sociologique et institutionnel. Patrice Pinell décrit cette lente recomposition du paysage de la cancérologie qui donne lieu à des tensions entre les chercheurs formés dans les centres d’avant-guerre et les jeunes générations qui militent pour une réforme globale du système hospitalier. Les premiers restent attachés à leur clientèle privée, alors que les seconds veulent imposer un nouveau statut instaurant le travail à plein temps au sein d’un hôpital. Un processus de refonte du système s’amorce avec le Conseil National de la Résistance qui fait des centres de lutte contre le cancer des établissements à but non lucratif. Cela débouche en 1958 sur la « réforme Debré » qui donne naissance aux Centres hospitaliers universitaires.

Au terme de cet itinéraire, on soulignera la complémentarité de ces contributions. En raison de la diversité des thèmes qu’il aborde, cet ouvrage constitue, et pour longtemps assurément, un outil indispensable pour toute personne désirant en savoir davantage sur l’histoire de la lutte contre le cancer.

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